La semaine dernière, on nous a traitées de racistes, un nombre incalculable de fois. On nous a accusées de promouvoir la ségrégation raciale et la discrimination. On a comparé notre association au Ku Klux Klan. On nous a dit d’arrêter de fantasmer. On nous a dit d’arrêter de “se prendre pour des Américaines”. On nous a dit qu’on était coloristes et qu’on allait trier les gens sur leur degré de mélanine. On nous a dit que ce genre d’initiative comme la nôtre menait à des génocides, à la Shoah. On nous a conseillé d’aller vivre en Afrique du Sud. On nous a dit d’aller vivre “là où il y a que des Noir.e.s”. On nous a dit de retourner en Afrique. On nous a dit qu’on menait une guerre contre les hommes blancs, contre les femmes blanches (à qui on faisait de la peine), contre les Blanc.he.s en couple avec des Noir.e.s, contre les Blanc.he.s qui avaient des enfants métisses, contre les Blanc.he.s qui avaient des ami.e.s noir.e.s.. On nous a dit qu’on voulait détruire le pays, la République, l’humanisme, l’universalisme. On nous a dit qu’on était stupides, connes, inutiles. On nous a dit qu’on était des putes. On nous a dit qu’on était des salopes. On nous a dit qu’on était des connasses. On nous a dit d’aller nous faire enculer (on a perdu le compte), d’aller nous faire exciser (4 fois), d’aller nous faire sodomiser par divers animaux. On nous a dit qu’on allait nous “péter la gueule” (2 fois), nous “défoncer”, nous “faire la peau”. On nous a traitées de guenons (3 fois), de mules, de sous-merdes (2 fois).
Pour rappel, on organise des ateliers pour femmes noires et métisses sur le racisme, l’hétéro-patriarcat et le capitalisme. Donc bon. Avec cette information en tête on relit le premier paragraphe et on respire.
Apparemment, en 2017, en France, l’idée que des afro-descendant.e.s s’organisent politiquement en autonomie est tellement insupportable qu’elle vaut une campagne de harcèlement sur Internet et des menaces d’annuler l’événement par les autorités. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact. En 2017, en France, on peut faire des réunions féministes non-mixtes entre femmes. On risque de subir quelques critiques d’hommes qui ne comprennent pas pourquoi ils ne pourraient pas venir donner leur avis précieux sur la condition féminine, mais on peut bénéficier de subventions de la Mairie de Paris, comme la Maison des femmes par exemple, où un homme ne peut pas entrer. On peut organiser des festival féministes réservés aux femmes, comme Cineffable, et être soutenu par la Mairie de Paris.
Curieusement, dès qu’un certain critère vient s’ajouter, le critère racial, la non-mixité devient intolérable et fait réagir au plus haut niveau. Au plus haut niveau, vous savez, ces espaces de pouvoir où les personnes non-blanches sont tellement peu nombreuses que lorsqu’on en a une, on s’assure bien de la mettre au premier rang sur la photo.
On veut bien des femmes noires, pour nettoyer discrètement les bureaux et pour garder les enfants pendant qu’on fait ses heures sup de cadre.
Des femmes noires qui s’organisent politiquement, qui se réunissent et parlent ensemble pour définir des agendas et stratégies de luttes et résistance, ça, ça plaît beaucoup moins.
Nous n’avons pas non plus été surprises par les réactions de certains. Les trolls d’extrême-droite qui s’excitent sur jeuxvideos.com, planifient des attaques groupées en nous comparant au passage à deux ou trois animaux, on a malheureusement l’habitude.
Que les chuchotements de ces trolls et de l’extrême droite, trouvent oreille favorable auprès de la Maire de Paris, correspond à une certaine logique. Le racisme de gauche a cette particularité de vouloir garder le monopole de l’antiracisme dans le lexique de la morale. Comme la gauche c’est le bien, en tant qu“’humaniste”, “universaliste” c’est tout à fait normal pour elle de savoir mieux que nous ce qu’il faut faire ou ne pas faire contre le racisme. Et ce contre toute logique, au regard de l’historique de la gauche en matière de colonialisme, de racisme et de récupération des luttes de l’immigration.
Le 29 mai 2017, la Mairie de Paris s’empresse de tweeter qu’elle va non seulement faire annuler l’événement mais qu’elle envisage de nous poursuivre pour discrimination. Dans le tweet d’Anne Hidalgo, nos ateliers réservés aux femmes noires et métisses afro-descendantes se transforment en “interdits aux Blancs”, et comme le rappelait le frère Joao Gabriell : “Il s’agit ni plus ni moins pour moi d’une énième preuve que ce n’est pas la non-mixité en soi qui gêne ces gens-là, mais bien l’absence du Blanc, censé incarner l’universel, selon leur vision eurocentrée. C’est à dire qu’à partir du moment où le Blanc n’a pas sa place, il s’agit là d’un attentat contre sa position de référent autour duquel tout doit tourner”.
Ce qui est bien, avec cette polémique, c’est qu’elle nous permet de faire une enquête sur ce que veut dire “discrimination” pour la gauche gouvernementale et les organisations de l’antiracisme moral (LICRA, SOS Racisme). Et ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a du travail. Apparemment, discriminer quelqu’un c’est juste lui dire qu’il ne peut pas faire quelque chose. Aucune trace du fait qu’il s’agit d’un rapport de pouvoir, d’assignation sociale, de domination politique, économique ou culturelle, dont le but est d’empêcher ces groupes d’accéder à des ressources (emploi, logement, études, etc.) et à des espaces socialement valorisés, ou de pouvoir (pouvoir politique, etc.).
Le petit problème dans leur plan “Faites-moi taire ces femmes noires que je ne saurais voir”, c’est qu’on est déjà passé par là. Tout ce cirque a déjà eu lieu l’année dernière, à l’occasion de la première édition du Camp d’été décolonial. La Mairie ne peut pas annuler notre événement puisque les ateliers non-mixtes ont lieu dans des espaces privés. Tout ce qui se passe à la Générale est “ouvert à tou.t.e.s”. Quelle ne fut pas notre surprise, devant le tweet d’Anne Hidalgo se félicitant d’être intervenue “fermement” auprès de nous (c’est bizarre, la fermeté n’était pas vraiment le ton de leur coup de fil pourtant), suivi d’un tweet disant que les ateliers non mixtes se tiendront dans des lieux privés. La publication de ces deux tweets à la suite suggère qu’il s’agit du résultat de l’intervention.
Sauf, Mme Hidalgo, qu’Internet a une mémoire, et les gens aussi. Nos communications sur le festival datent déjà d’il y a plusieurs semaines. Le site et le programme du festival sont plus anciens que vos tweets. N’importe quelle personne peut vérifier chronologiquement, qu’aucun changement n’a été apporté au programme.
On dit souvent que l’histoire est racontée par les gagnants. L’histoire est surtout racontée par les dominants, qui ont le pouvoir de faire dire à la réalité ce qu’ils veulent. Ils n’ont pas à s’excuser dans la vie. Ils n’ont pas à se justifier sur leurs actions.
Merci pour vos magnifiques #suiteamoninterventionferme ou encore #tweetecommeHidalgo, qui nous ont bien fait rire dans ces moments difficiles.
La non-mixité est un outil militant déjà ancien. Depuis la semaine dernière, en réponse à des messages passablement agressifs, nous avons envoyé plusieurs dizaines de fois une BD pédagogique sur la non-mixité, ou encore le texte de Christine Delphy. Les accusations d’être ségrégationnistes montrent bien l’incompréhension des gens autour du fait que la non-mixité n’est pas un objectif, mais un outil, qui s’est construit sur des décennies d’expertise militante et de réflexion sur l’efficacité des différentes luttes. Toute personne qui a un jour voulu s’impliquer dans ces militantismes peut se rendre compte rapidement que ces espaces, qu’on croirait être enfin des espaces d’expression des minoritaires concernés par ces oppressions, restent souvent des espaces définis et contrôlés par les majoritaires. C’est pour cette raison que des associations comme la LICRA, SOS Racisme et autres n’apprécient pas vraiment qu’on leur fasse des remarques sur la couleur étrangement très uniforme de leurs instances dirigeantes. La confiscation des luttes politiques aux concerné.e.s est un mouvement historique et systématique, par le système dominant pour se protéger, en sapant les mouvements de contestation à la racine. Dépolitiser le discours, imposer le point de vue blanc et majoritaire sur les questions, imposer le ressenti, les enjeux des hommes dans le féminisme, etc.
Que fait-on dans nos espaces non-mixtes ?
Certaines personnes, en voulant sûrement aider, ont commencé à faire des comparaisons pas très flatteuses. “Vous attaquez le festival mais vous dites rien sur les bars identitaires à Lille !”. Est-ce qu’on a besoin de préciser qu’on apprécie très peu cette comparaison qui n’a pas lieu d’être ? On parle ici d’espaces occupés par l’extrême-droite et les mouvements suprémacistes blancs, espaces dans lesquels un.e racisé.e serait littéralement en danger, espaces consacrés au développement et au renforcement de théories racistes, sexistes et homophobes violentes.
Les espace non-mixtes que nous mettons en place, nous permettent de réfléchir à notre organisation comme corps politique sur des enjeux comme les violences policières, la culture du viol, l’homophobie et la transphobie, les discriminations concernant l’emploi, le logement ou l’éducation. Ce sont aussi des espaces de transmission de savoirs et de production théorique sur l’histoire des combats afroféministes, luttes anti-colonialistes afro-caribéennes, le panafricanisme, l’anti-capitalisme. Enfin ces espaces sont aussi des lieux pour apprendre à prendre soin de nous, pour rester fièr.e.s et aimant.e.s de nos communautés, de nos corps, pour transmettre l’histoire des combats de nos communautés et afroféministes aux enfants et encourager leur estime d’eux-mêmes, et de plein d’autres choses.
Le plus drôle reste quand même que ces réactions scandalisées à la non-mixité de certains ateliers du festival sont en fait venues justifier aux yeux de tous la nécessité de la non-mixité (relire le premier paragraphe si besoin). On imagine avec plaisir un atelier interrompu par A qui pense que “le racisme n’existe que si on y croit”, par B qui déclare qu’on est racistes parce qu’on ose “faire la différence entre les Noirs et les Blancs”, par C qui veut partager “[sa] très bonne connaissance de l’Afrique et des Africains” parce qu’il a vécu deux ans au Mali, D qui est persuadé que “si on travaille dur, le racisme ne compte pas”, E qui “ne voit pas la différence entre les gens de toute façon”, F qui “a beaucoup lu sur l’histoire de l’esclavage et pourrait [nous] apprendre des choses”, et on pourrait continuer pendant des jours et des jours. (Tous ces exemples correspondent à des commentaires, tweets et messages réels reçus par Mwasi depuis le début de la polémique). Vraiment, en voyant tout ça, on se demande pourquoi il existe des espaces non-mixtes dis donc…
C’est un peu la même chose quand on voit les tweets de désinformation émanant pourtant des institutions, les très nombreux reportages et articles de presse qui reprennent, sans se poser la question de l’exactitude de la source et des faits, l’expression choc “festival interdit aux Blancs”. La couverture médiatique du militantisme est de manière générale déplorable et réductrice. Heureusement, nous avons vu apparaître de nombreux articles de qualité de la presse étrangère, qui venaient comme bien souvent demander : “What the fuck, France ?”. Comme pour le burkini, comme pour le port de signes religieux à l’école, comme pour la majorité des débats franco-français sur tout ce qui peut toucher à la “diversité” de la population, nous avons apprécié de voir s’exprimer une réelle incompréhension vis-à-vis des “névroses françaises” qui mènent à des situations injustes et absurdes.
Nous estimons que nous n’avons pas à faire nos actions non-mixtes en nous cachant, en catimini. Savoir que les oppressions que nous subissons sont des expériences collectives et que nous avons donc besoin de nous organiser collectivement contre ce système.
On envoie donc tout notre amour et notre soutien aux personnes noires et métisses afrodescendantes qui ont eu à subir indirectement les répercussions de cette offensive raciste ; les personnes qui ont été exposées comme nous à des commentaires, des tweets, des messages violents, à la fois racistes, sexistes et homophobes.
On remercie toutes celles et ceux qui nous ont montré leur soutien, avec le hashtag #JesoutiensMwasi, avec des messages, avec des dons. A commencer par les anciennes membres du collectif, notamment sa fondatrice Sharone. On remercie les afroféministes actives sur Twitter (vous êtes au dessus), le Black Atlantic Twitter qui s’est mobilisé des Etats-Unis en Grande-Bretagne en passant par le Kenya et Haïti (#BlackOnBlackLove), les collectifs militants, les associations, les personnalités qui nous ont soutenu indéfectiblement, depuis la Générale à Black Lives Matter, en passant par Maboula Soumahoro, Rokhaya Diallo, Françoise Vergès, Amandine Gay, Gerty Dambury, Léonora Miano, Alexis Peskine, Amzat Boukari, Zahra Ali, Sihame Assbague, Cineffable, Alice Coffin, Sylvie Tissot, Océanerosemarie, Christine Delphy et tou.te.s les autres.
Polémique après polémique, intimidation après intimidation, les “patriotes”, les “républicains” et boutiquiers de l’antiracisme moral ne semblent pas comprendre que leurs front commun ne fait que renforcer notre détermination à nous organiser en autonomie.
Nous savons que le chemin sera long, qu’il y aura d’autres batailles, mais nous ne les mèneront pas seules.
Le Collectif MWASI
Presse
Podcast
BBC : ‘Black women only’ event in Paris faces ban for discriminating
Radio Sud : “Y-a-t-il un raciste anti-blanc” avec la BAN
Vidéo
Et ta connerie, elle vient aussi des Etats-Unis ? / STO Express
NON-MIXITÉ : OCÉANEROSEMARIE SÈCHE LES PLEURS DES HOMMES BLANCS
RÉUNIONS NON-MIXTES : « QUAND ON EST NOIR EN FRANCE, ON EST DOMINÉ »
Cette non-mixité militante qui fait débat / Médiapart Live
Articles
Nyansapo : De quelle couleur est le festival ? / Mrs Roots
Paris Mayor Backtracks After Calling for Black Feminist Festival to Be Banned / Time
Françoise Vergès : « La non-mixité fait réagir ceux qui détiennent le pouvoir car ils ont le désir de tout contrôler » / Jeune Afrique
Afro-Feminist Festival Organizers Call Out Paris Mayor For Accusing Them Of Racism / Huffpost Black Voices
« Nyansapo Fest », le festival afro-féministe qui fait polémique / NOFI
LA LICRA ET L’EXTRÊME DROITE UNIES CONTRE L’ORGANISATION D’UN FESTIVAL AFROFÉMINISTE / Le Muslim Post
Aux origines de la polémique sur le festival afroféministe Nyansapo / Libération
« Interdit aux Blancs »? Pourquoi le festival Nyansapo choisit la non-mixité / L’Express
Pourquoi l’afroféminisme crispe-t-il autant la France ? / Arte Info
Black Feminist Festival in France Deemed Racist by Anti-Racist Orgs / Vice
Festival Nyansapo : dépasser le débat sur la non mixité et rencentrer la discussion sur le racisme / Le Blog de Joao
When an Afro-feminist festival defies white supremacy / Al Jazeera
Tribunes
Bas les masques / Maboula Soumahoro
Barrage républicain: la maire PS de Paris Anne Hidalgo, la LICRA et l’extrême droite / Tribune collective
La non-mixité, un outil politique indispensable / Rokhaya Diallo
Non à l’interdiction du festival afro-féministe NYANSAPO ! / NPA
Thread Twitter
Récap des attaques / Gottheblues
Qui sont ceux qui attaquent Mwasi/ Collectif Des Raciné.e.s
Sur la préparation du raid twitter de JVC contre MWASI / Mwasi-Collectif
Audrey Pulvar et ses errements / Joao Gabriell
Sur l’utilisation de Fanon, Cesaire, Rosa Parks contre l’anti-racisme / Joao Gabriell
Sur la dimension raciste des attaques subies par Mwasi / Joao Gabriell
2 comments
Encore Bravo, J’espère qu’il y en aura encore et encore des manifestations comme celle ci , jusqu’à ce que la France soit une France d’égalité pour tous.
Bien à vous.
Envoyé de mon iPhone
>
Cette mise au point était indispensable car au final, Hidalgo s’en sort plutôt bien. Elle fait croire que vous avez cédé à ses pressions et donc que vous n’étiez pas dans votre bon droit. Vous avez bien fait de souligner que c’est elle qui a reculé et implicitement admis que son projet de censure était raciste, motivé par une volonté de porter atteinte aux libertés élémentaires des noirs de se réunir entre eux. C’est une déclaration de guerre contre la non mixité, contre l’émancipation sous couvert de lutte anti-ségrégation.
Il est bon de rappeler également que Hidalgo a soutenu l’année dernière Exhibit B, le zoo humain faisant l’apologie de l’esclavage au nom de la liberté d’expression et envoyé la police sur les manifestants noirs en les traitant de tous les noms. Son soutien indéfectible à toute initiative blanche colonialiste, esclavagiste, ségrégationniste et sa capacité à inverser systématiquement les rôles de dominants et dominés ne peut que nous conforter dans la certitude de son adhésion au nationalisme de gauche.
Je vous soutiens de tout coeur et souhaite une mobilisation des mouvements noirs pour les prochaines élections municipales afin de mener une campagne électorale de boycott de sa candidature.