La crise sanitaire que nous vivons révèle tous les dysfonctionnements de l’Etat néo libéral français et des choix faits ces dernières années et plus récemment encore: restriction budgétaire dans les hôpitaux publics, suppression d’emplois, dégradation de la prise en charge des patients et pour finir un manque criant d’anticipation et des manquements graves dans la gestion de cette crise sanitaire qui à l’heure actuelle compte plus de 15000 personnes décédées au 15 avril 2020. Ce que révèle aussi cette crise, c’est que les inégalités sociales et raciales, les choix du gouvernement français, rendent encore plus vulnérables certaines populations et poussent les populations noires davantage dans la précarité.
Le perpétuel État d’exception: renforcement du tout sécuritaire
Au lendemain de l’annonce du confinement, des interpellations très violentes de personnes faisant leurs courses sont relayées dans les médias et réseaux sociaux, alors que la porte-parole du gouvernement déclarait que le 1er jour du confinement les policiers feraient preuve de pédagogie. Qui pouvait réellement croire à une telle déclaration? Il était évident que cette déclaration ne pouvait pas concerner des territoires qui ont été construits comme en-dehors du droit commun et dont les populations majoritairement non blanches sont sous constante surveillance de l’État.
Cette crise ne fait qu’exarcerber et renforcer les positions subalternes d’un ensemble de groupes : les personnes non-blanches, les pauvres, personnes détenues et incarcérées, les femmes.
Encore plus de violence et de répression…
On retrouve dans les témoignages de victimes de ces violences policières: “ils (les policiers) se croient encore plus tout permis qu’à l’accoutumé. Encore plus d’impunité, encore plus de violence: dans la guerre contre le coronavirus tout est permis: “on interpelle, on tase, on plaque, on tabasse”. Cette violence n’a pas pour but d’arrêter la propagation du virus, d’ailleurs elle s’exerce dans des cadres qui enfreignent les mesures de distanciation. Le but de la violence est le rappel continu de la place de chacun, quand d’autres peuvent se balader au parc Monceau car c’est leur droit, certains doivent être contrôlés et surveillés car intrinsèquement dangereux et désobéissants.
Arrêtés préfectoraux et couvres feu…
Dans leurs tentatives d’enrayer le virus, certaines municipalités choisissent de mettre en place des arrêtés préfectoraux. Des arrêtés d’un genre particulier pour certaines villes de Seine Saint Denis, de Château Rouge dans le 18eme arrdt de Paris et dans les colonies départementalisées: interdiction de se déplacer entre 20h et 5h du matin à Aubervilliers (arrêté jugé illégal depuis le 25 mars), en Martinique et en Guadeloupe également. A Noisy Le Sec les grandes surfaces et les commerces de ventes à emporter sont fermées de 20h à 6h, à Château Rouge les commerces sont ouverts de 8 heures à 10 heures et de 14 heures à 16 heures seulement.
Les habitants de Seine Saint Denis, de Château Rouge et des colonies départementalisées sont-ils les seuls à ne pas respecter le confinement? Où sont les arrêtés préfectoraux pour les parisiens qui sortent en masse au moindre rayon de soleil?
L’Etat ne fait pas face à ses responsabilités (manque d’anticipation de la crise sanitaire, manque de masques et de moyens dans les hôpitaux, logements insalubres (qui rend le confinement beaucoup plus difficile), pauvreté, politique ultra libérale). L’une des seules manières que l’Etat et sa police ont de se montrer actifs contre la propagation du virus ;sans totalement remettre en question leurs politiques qui ont menées à la gestion désastreuse de cette crise ; c’est d’interpeller encore plus et par conséquent d’être encore plus violent avec les mêmes populations et de désigner les mêmes bouc émissaires.
Le capital, l’économie au-dessus de l’humain
La crise du Coronavirus est d’une portée et d’une ampleur jamais connue auparavant. Cependant, la gestion désastreuse du gouvernement français n’est pas seulement liée à l’envergure de la pandémie mais aussi et surtout au fonctionnement et aux logiques capitalistes et néo-libérales.
Le fléau de la privatisation
C’est en effet dans une logique de rentabilité et par le biais de plans d’austérité, que bon nombre de secteurs vitaux pour le fonctionnement égalitaire du pays ont été progressivement privatisés ou réorganisés. Ce fut le cas du secteur des transports, de l’éducation mais également de la santé. Les hôpitaux ont ainsi été amenés à fonctionner en flux tendu, faisant du personnel et de l’ouverture de nouveaux lits disponibles une variable d’ajustement à la “demande” et ce afin de diminuer les coûts de production pour l’Etat français.
Le racisme, l’un des piliers du capitalisme
Il est important de rappeler dans ce contexte que le capitalisme se nourrit du racisme, c’en est même l’un des piliers. Ce sont en effet des choix politiques racistes qui ont permis de mettre en place des textes de lois visant à mettre à disposition à bas coût, voir gratuitement, une force de travail noire. C’était la logique de l’esclavage. C’est la même logique qui sévit encore aujourd’hui dans les quartiers populaires, où les personnes noires entre autre, sont maintenues dans une très grande précarité par un système scolaire inadapté ou des institutions policières, judiciaires et carcérales volontairement violentes et répressives. Ces populations n’ont donc pas d’autre choix que d’accepter des emplois précaires et mal payés. Cette logique régit également la politique d’immigration. L’arrivée massive de migrants issue majoritairement des anciennes colonies représentent en effet une force de travail exploitable à merci. Particulièrement parce qu’ils ne possèdent pas de titres de séjour ou sont dans des situations très précaires. L’appel aux réfugiés du préfet de Seine-et-Marne pour l’aide aux agriculteurs l’illustre particulièrement bien.
C’est sur cette force de travail que repose l’économie française et de fait, les privilèges d’une bourgeoisie blanche aujourd’hui confinée dans des appartements spacieux, alors même que les caissières, aides soignantes, éboueurs, employés du bâtiments, livreurs etc… continuent d’aller travailler au péril de leur vies. Une majorité de personnes noires exerçant des emplois précaires travaille en effet encore à ce jour. Par conséquent, les populations noires se retrouvent très dangereusement exposées au virus, contraintes à travailler dans des conditions de grande vulnérabilité, et sont les plus violemment touchées par cette pandémie. C’est ce qui explique que le département comprenant le plus de morts lié au Covid-19 soit la Seine-Saint-Denis. C’est ce qui explique également le nombre important de morts dans les foyers de sans papiers.
Les habitants de la Seine-Saint-Denis tout comme les habitants des foyers, en plus de continuer à travailler, vivent dans une très grande promiscuité, au sein de logements exigus et bien souvent insalubres, alors même que la France compte 3 millions de logement vides. Il est important de rappeler que le choix de la distanciation sociale et du confinement est un choix politique. Pouvoir vivre reclu chez soit sans risque pour sa santé mentale et physique, pouvoir respecter une distance de 1 mètre minimum ou faire du télétravail est un privilège de classe, résultat de la hiérarchisation sociale produite par le capitalisme.
Ce sont ces populations que le capitalisme sacrifie et sacrifiera, afin de survivre, ou pour reprendre l’extrait d’un article parus sur MARS-INFOS “Nous accélérons vers un avenir où une classe privilégiée connectée numériquement effectue un travail virtuel en isolement tandis qu’un État policier massif les protègent d’une sous-classe sacrifiable qui prend la plupart des risques”.
Un capitalisme néo-colonialiste
Cette logique néo-libéraliste ne sévit pas que dans les pays occidentaux. En effet, au cours des 25 dernières années les institutions internationales telles que le Fond monétaire international ou la Banque mondiale ont conditionné leurs aides financières aux pays du sud, à la mise en place de réformes libérales touchant de fait le système de santé. Le but était d’ouvrir de nouveaux marchés aux pays du nord. Les difficultés pour protéger leur population de la pandémie du Covid-19 que rencontrerons potentiellement les pays du sud, seront directement lié au néo-colonialisme.
L’humain comme variable d’ajustement
Dans la logique capitaliste, tous ceux qui ne servent pas le capital ou sont facilement remplaçables, sont sacrifiables et sacrifiés. C’est le cas des migrants primo-arrivants ainsi que des prisonniers.
En effet, les prisons et les centres de rétention administratif qui comptent une forte population noire, sont de fait des lieux de violences et d’humiliation difficilement vivables et souvent meurtriers. Ajoutez à cela, la fin des parloirs, imposée en raison de l’épidémie, ainsi que l’insalubrité, la grande promiscuité et l’incapacité de sortir, ils en deviennent des lieux particulièrement propices à une contamination et donc à des décès massifs. Conscient de ces risques les prisonniers des CRA, des centres de détention et des maisons d’arrêt ont protesté en mettant le feu à leurs cellules ou en refusant de revenir de promenade. Les associations ont également tiré la sonnette d’alarme en saisissant le conseil d’Etat. La réponse du gouvernement et de l’administration pénitentiaire, a été de nier la dangerosité du maintien en détention et l’envoi systématique des équipes régionales d’intervention et de sécurité afin de mater les mutineries.
Dans cette même logique de considérer les populations noires prolétaires comme une source de main d’oeuvre exploitable et remplaçable, la France a fait le choix au début de l’épidémie de renvoyer les migrants à la frontière italienne. Alors que l’Italie était particulièrement touchée par l’épidémie du Covid-19, les migrants étaient arrêtés par les pouvoirs publics français, sans précautions particulières, -pas de quarantaine pour les personnes malades du Covid-19- puis raccompagnés à la frontière Italienne, où il n’y avait aucune prise en charge.
Le nombre de morts et la paupérisation des minorité noires, est donc en très grande partie le résultat de choix politiques et non celui d’une pandémie que personne ne pouvait prévoir. C’est le système capitaliste et par là le racisme systémique et le néo-colonialisme qu’il faut mettre en cause. Il ne faut donc pas tomber dans un discours de responsabilité individuelle qui permet à l’Etat de justifier la mise en place d’un arsenal répressif dirigé encore une fois contre nos communautés.
Médecine française, médecine coloniale
Les déclarations racistes sur LCI de Camille Locht et de Jean-Paul Mira qui évoquaient le fait de tester des traitements n’ont rien d’étonnant. Des médecins français qui prennent les corps noirs pour des terrains d’expérimentation, c’est l’Histoire de la médecine coloniale occidentale. Ils ne sont que les héritiers d’une France qui a savamment orchestré la stérilisation et l’avortement forcés de 8000 femmes réunionnaises dans les années 1970 ; c’est encore cette France qui impose la Lomidine (un traitement censé guérir la trypanosomiase africaine, couramment appelée maladie du sommeil) aux populations africaines colonisées, un traitement qui fera des milliers de victimes: gangrène gazeuse, nécrose, fesse et cuisses enflées, des muscles présentant des signes d’éclatement et de pourriture. La gynécologie occidentale n’échappe pas au racisme non plus, si elle a pu faire les progrès dont elle se targue aujourd’hui c’est “grâce” aux ’expérimentations répétées et sans anesthésie sur le corps de femmes noires mises en esclavage.
Nos besoins de soutien psychiatrique, psychologique, socio-économique et politique peuvent être amplifiés pour certaines dans cette situation de crise. Alors que l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies observe une recrudescence des troubles anxieux et des états psychotiques, ce n’est que le 23 mars que le ministère des solidarités et de la santé publique publie une liste de recommandations pour les services de psychiatrie. Début avril à Bordeaux, un centre de soin signalait deux décès par surdose liée au confinement. L’absence de préparation du centre de soins psychiatriques est directement liée à la structuration néolibérale du système médical et exacerbe les inégalités socio-économiques dans lesquelles nous nous trouvons. Certains organismes ont tout simplement interrompus la majorité de leur services. De ce fait, les personnes vivant dans des situations précaires, avec des neuro-divergences et des traumatismes sont plus susceptibles de ne pas supporter le confinement. Les pensées suicidaires, les crises de panique et les addictions redoublent d’intensité. Les personnes ayant vécu l’exil font face à des problèmes de traduction, d’hébergement dans des structures insalubres, à l’angoisse face à la police, l’inquiétude pour les proches qui résident ailleurs et la peur des persécutions de la police. Dans un contexte où le milieu psychiatrique est déjà en grande difficulté et où le confinement est susceptible de s’étendre au-delà de la mi-mai, il est donc essentiel de relayer les initiatives de permanences psy dématérialisées adaptées à nos besoins comme celle du collectif psy noires.
Des colonies départementalisées davantage fragilisées
Ignorant les mises en garde, l’Etat français continue de mettre à risque des populations déjà vulnérables: le conseil d’Etat qui annule l’ordonnance du tribunal administratif de Basse-Terre en Guadeloupe qui imposait à l’Autorité Régionale de Santé (ARS) de commander tests et traitements en quantité suffisante en est une énième preuve. Il s’agit d’une opportunité de plus d’analyser la réalité de la souveraineté des territoires d’Outre Mer. Trois ans après l’incendie du CHU de Guadeloupe, il n’y a toujours que 22 lits de réanimation pour 395.000 habitants: en somme, les responsables politiques locaux n’ont toujours pas tenu leurs promesses de reconstruction. A la négligence envers le milieu hospitalier s’ajoute l’infantilisation de la population et le régime d’exception: en témoigne la mise en place d’un couvre feu en Guadeloupe et Martinique avec une interdiction de se déplacer entre 20h et 5h du matin.
L’État Français compromet aujourd’hui la sécurité de la population de ces colonies. Le 10 mars 2020, Philippe Gustin, préfet de Guadeloupe, facilitait l’arrivée de 200 touristes italiens en croisière sur le territoire alors même que l’Italie devenait l’épicentre de la pandémie. Quand il ne met pas en danger la population qu’il est censé servir, il rejette les arrêtés des maires guadeloupéens proposant l’interdiction des rotations de bateaux touristiques. En Martinique, ce sont des habitant-e-s qui se déplaçaient pour bloquer les aéroports et les stations routières pour exiger le dépistage des touristes. À la Réunion et à Mayotte, aucun contrôle sanitaire à l’arrivée des bateaux et des avions n’a été entrepris avant la mi-mars. Avec 4% de la population officiellement contaminée en Martinique et 3,5% en Guadeloupe, ce sont les deux seules îles de la Caraïbe enregistrant le plus fort taux de personnes atteintes par le virus.
Il nous est primordial à nous populations noires, de comprendre, d’analyser le système négrophobe et néolibéral dans lequel nous vivons. S’indigner d’enièmes propos racistes de tel médecin, ou tel homme politique est vain, si nous ne nous attardons pas à trouver des solutions. Plus que tout n’oublions pas: si nous subissons tous la négrophobie nous ne sommes pas tou-t-e-s logé-e-s à la même enseigne, soutenons les plus vulnérables d’entre nous: les travailleurs sans papiers entassés dans des foyers, les migran-t-e-s, les travailleur-euse-s pauvres, les personnes incarcérées et les femmes victimes de violences conjugales.
RES
SOURCES:
Après l’aéroport de Martinique, les activistes bloquent un bus de touristes: https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/apres-aeroport-martinique-activistes-bloquent-bus-touristes-805665.html
Accès maritime à Marie-Galante : nouveau round annoncé, entre les élus et le préfet: https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/marie-galante/acces-maritime-marie-galante-nouveau-round-annonce-entre-elus-prefet-817314.html
Lettre de la Présidente de la Région Guadeloupe, Madame Josette Borel.Lincertin, à M. Nicolas de Tavernost: http://www.lescrutateur.com/article-lettre-de-la-directrice-de-la-region-guadeloupe-madame-josette-borel-lincertin-a-m-nicolas-de-tav-122624272.html
Permanence Psy Noires: https://www.instagram.com/p/B96PNlnoZv-/?igshid=eq580p9yhb1r
Recommandations hôpitaux psychiatriques: https://s3-eu-west-1.amazonaws.com/static.hospimedia.fr/documents/206958/5146/Fiche_recommandations_Covid-19_psychiatrie.pdf?1584983108
The Surgeon Who Experimented on Slaves: https://www.theatlantic.com/health/archive/2018/04/j-marion-sims/558248/
Quand la France interdisait l’avortement… sauf aux femmes noires: https://blogs.mediapart.fr/eugenio-populin/blog/040317/quand-la-france-interdisait-lavortement-sauf-aux-femmes-noires
Mame-Fatou Niang, L’Afrique cobaye ou le corps noir dans la médecine occidentale, avril 2020: http://www.slate.fr/story/189360/afrique-cobaye-medecine-occidentale-corps-noir-empire-colonial-lci-vaccin
Annulation de l’interdiction des rotations de bateaux à Marie-Galante (Guadeloupe) : https://www.notretemps.com/sante/coronavirus-la-justice-annule-afp-202003,i216298
Arrêté prefectorial interdisant toute circulation durant le week-end Pascal : http://www.guadeloupe.gouv.fr/Politiques-publiques/Risques-naturels-technologiques-et-sanitaires/Securite-sanitaire/Informations-coronavirus/Au-quotidien/Un-arrete-restreint-la-liberte-de-circuler-d-aller-et-venir-et-de-commerce-pour-le-week-end-pascal
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